Peut-on raisonnablement établir comme absolues, c'est à dire devant être appliquées de manière universelle, les notions, ou plutôt les valeurs de Bien et de Mal? Dégagées d'un contexte religieux et manichéen, peut-on dire que nos valeurs, ce qui définit dans le monde occidental le bien et le mal, dépassent le simple cadre des us et coutumes, des fonctionnements politiques et sociaux hérités de nos ancêtres? Ou bien ne cherche-t-on pas uniquement à imposer, à d'autres cultures par une grande croisade satisfaisant notre morale, des pratiques contextualisées, globalement résumées sous les termes de Liberté et d'Egalité? Qu'est-ce que le Bien et le Mal?
C'est avec un pessimisme certain sur notre capacité à atteindre un bien commun à tous que j'ai engagé cette réflexion. Autres temps, autres moeurs, dit-on. La roue du temps a fait se succéder nombre de soi-disant universalismes, faisant encore aujourd'hui cohabiter des sociétés à ce point différentes qu'agir pour un bien universel ici (la burka et les droits de la femme) parait être un mal absolu ailleurs (régimes sous le coup de la loi coranique. Notez d'ailleurs l'expression sous le coup, donnant bien mon point de vue sur la question). Ici, liberté de tous ; ailleurs, soumission à l'ordre ou à un Dieu. Qui est plus heureux pourtant? Qui est plus performant? Lequel est meilleur ?
Rien ne nous permet d'affirmer que c'est en Occident que les gens sont le plus heureux. Notre société libérale, capitaliste et judéo-chrétienne a d'ailleurs une fâcheuse tendance à provoquer des dépressions chez les individus, dépressions absentes de nombreuses régions du globe.
Et puis, nos valeurs censées être universelles et provenir d'une idée du Bien construite au fur et à mesure des évènements historiques et des évolutions paradigmatiques de la pensée occidentale s'accomodent bien d'actes en opposition avec eux-même. Pensons à la possibilité d'imposer la loi martiale en cas de besoin, à la faiblesse des Droits de l'Homme face aux appétits financiers des multinationales implantées dans des pays soumis à la dictature (et soutenus tacitement par nombre de pays dits libres et imposant l'égalité). Et là où le bât blesse, c'est que au nom de la liberté pour tous, on tue, on soumet, on corromp. On agit mal pour bien agir. Finalement, nécessité fait loi.
Et donc l'impasse se précise. La seule définition du bien que l'on voit ici, c'est que le Bien, c'est moi et mes semblables, le Mal, les autres (les barbares). Le Bien et le Mal sont alors des valeurs subjectives.
Si l'on accepte ce relativisme moral, alors le gouffre est sans fond et seule reste la volonté du plus fort qui peut dicter ce qui est bien ou mal. Pensons au réglement des conflits armés, aux dictatures, à l'éducation utilisée comme dressage des membres d'une société. Il n'y aurait pas non plus de possible cohésion sociale, car comment accepter la parole de l'autre si chacun est juge de ce qui est bien et mal? La raison nous interdit de le croire, tant les preuves de vie en bonne intelligence, à petite comme à grande échelle, nous incitent à voir le contraire : le fait que l'homme puisse vivre avec l'homme nous montre que quelque part au fond de notre être, une fois dégagés de nos carcans (habitudes sociales, morale, éducation) nous savons ce qui est Bien. On ne peut pas non plus l'accepter affectivement, sans quoi la folie nous guette.
Etre humain. Cette expression nous renvoie à l'empathie, à la capacité de souffrir avec. C'est là je pense le premier pas vers le Bien. Etre bon, c'est ressentir la souffrance avec autrui, et chercher à la diminuer. Etre bon, c'est participer à l'incessante fondation de la communauté humaine. En celà, la Shoah est un mal absolu, voyant l'humanité volontairement destructrice d'une partie d'elle-même. Le Bien universel est donc tourné vers la vie, et fondé sur le partage, le don de soi (et non la dissolution de soi), l'abandon d'une volonté personnelle au détriment des autres. Au niveau de notre espèce, le Bien est à l'opposé de la destruction du monde pour le profit des Hommes: l'écologie est un bien, car elle remet l'Homme au sein de la vie et de sa préservation. Le bien ne peut donc qu'être action. Ce n'est donc pas une valeur mais une suite d'actes tournés vers la préservation de la vie et la construction d'une humanité plus forte car plus consciente et plus soucieuse d'elle-même et de ses membres. On peut certainement dire que le régime démocratique et libéral qui est le notre comporte plus d'actes de bonté que celui de la dictature Nord-Coréenne. Mais il reste que des actes de bontés différents émergent selon les cultures et les habitudes sociales. Et que dire des sociétés dites “primitives” qui pourtant savent vivre en harmonie avec la nature sans chercher à en épuiser les richesses. N'ont-elles pas une leçon de bonté à nous donner? Et finalement, le terme Fraternité ne devrait-il pas être placé avant les deux autres ?
Un dernier mot : comment répandre le bien autour de soi? En agissant bien, tout simplement. Mais agir bien ne suffit pas, car ce n'est qu'un évènement ponctuel qui n'appelle à aucun lendemain. Bien agir doit aussi contenir cette donnée : donner envie de bien agir. Car rien n'est plus agaçant que des bienfaiteurs culpabilisateurs : comment aurait-on envie de devenir comme eux? On doit faire acte de bonté par envie, et non par honte de mal se comporter. C'est en cela que des figures historiques comme Gandhi ou le Dalaï Lama, qui ont cherché à unir et à rendre plus heureux, sont des figures incontournables : ils sont, en plus de la somme de leurs actes, des modèles de bonté. Et n'est-ce pas là que réside l'ultime Bien : semer chez le plus grand nombre les germes d'un futur Bien?