25/11/2009

Une question d'éthique ...

Aujourd'hui, je souhaite discuter d'un problème fort ancien et fort vaste, qui pourrait être vu comme le cadre de discussions à venir. Pour ces raisons, il nous sera évidemment impossible d'épuiser ce sujet, si un homme est déjà parvenu à le faire. Cette question est, en toute simplicité, celle du bien et du mal.


On pourrait littéralement s'abîmer dans la convocation de tous les penseurs « incontournables » qui ont attaqué ce couple conceptuel à travers les âges. On aboutirait d'ailleurs probablement à quelque chose de plus constructif que ce qui sera effectivement produit aujourd'hui. Si l'on regarde les choses en face, cependant, à savoir que nous ne sommes pas, à ma connaissance, philosophes professionnels, que nous sommes mortels, avec peu de temps à notre disposition, et qu'un des plus grand freins à la pensée est l'angoisse de ne pas mériter la parole, je propose de nous attaquer de but en blanc à la question qui va nous occuper, entre honnêtes gens.


Premier constat, aussi vieux que le monde, me semble-t-il, le « bien », au sens d'harmonie, ne règne pas sur terre. Le sujet pensant, en effet, est placé devant cette évidence première que tout n'est pas ordonné vers la satisfaction de ses besoins immédiats, encore moins de ses désirs. Le monde, et donc l'expérience de la vie, est dès l'origine une lutte, dans laquelle le mérite est largement surpassé par une série d'avantages plus ou moins innés, qui ne relèvent en aucun cas d'une justice équitablement établie. Mon prochain est plus fort, plus beau, mieux né que moi, ce qui me prive sans raison de biens auxquels lui a accès. De plus, l'autre, qui est pourtant si bien loti, ne semble pouvoir s'empêcher de lorgner mon propre bien, mon propre lot, avec une jalousie qui ne nous surprend pas de lui mais qui rend le monde encore plus invivable.


Voilà ce qui nous semble être à l'origine des notions de bien et de mal : l'inégale répartition des lots, et la volonté de tout un chacun de rétablir ce déséquilibre ressenti en sa faveur, ce qui conduit évidemment à un déséquilibre plus grand et, de fait, à un état de guerre permanent. Ce constat fait, la solution la plus simple semble être le recours à une issue métaphysique, à un en-dehors du monde où ces torts sont réparés, où l'équilibre subjectif est rétabli, les bons récompensés et les méchants punis. Nous sommes évidemment familiers de ce système de contrôle qui permet au pauvre de trimer tout au long d'une courte vie sans faire trop tanguer l'édifice social parce que, rendons-nous à l'évidence, nous avons besoin des pauvres !


Cependant, et depuis bien longtemps, cette solution rassurante (quel que soit le visage qu'elle prenne), se heurte à un problème. Si un quelconque pouvoir transcendant peut rétablir la balance dans un au-delà, pourquoi ne le fait-il pas dans l'ici et maintenant. Comment expliquer cette antichambre de souffrance où il est incontestable que le mal règne et que les vilains prospèrent, il nous semble le voir tous les jours ? Dieu était-il incapable de faire advenir l'homme à un monde directement bon ? C'est bien sûr à ce moment que sont convoquées des doctrines telles que celle du péché originel, mais de vous à moi, y avons nous touché à ce fruit ? Et pourquoi interdire l'accès au fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, c'est étrange non ? En écrivant cet article, est-ce que je consomme une nouvelle fois le grand crime du père des hommes (ce qui serait satisfaisant pour l'ego) ?


On en vient alors à cette explication : ce monde transitoire est un test, qui opère un tri entre les bons et les méchants, une sorte de salle d'attente avant l'éternité où la vraie fête se joue. Pourtant, et c'est là que, de nouveau, le bât blesse, on ne connaît rien d'autre que cette salle d'attente, et pour autant que nous le sachions, il n'y a qu'elle. Quel scandale ! Tant de générations se seraient tenues bien calmes et disciplinées, pendant qu'une poignée de vilains petits canards se seraient vautrés dans la fange en propageant la grande imposture. Et lors du moment fatal, où le tri est censé être fait, on court le risque d'ouvrir une dernière porte vers une salle vide et délabrée, une vieille laverie où tout serait en panne et dont la porte se refermerait derrière-nous ? L'image des méchants traversant la vie en jouissant et en riant sans être autrement châtié que la ménagère moyenne fait évidemment froid dans le dos, mais semble coïncider avec une bonne partie de l'histoire de l'humanité.


Dans le doute alors, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, il est improbable que quiconque obtienne pour tout le monde une réponse définitive à cette affaire de salle d'attente, comment nous comporter ? Faire le bien en se disant qu'après tout, ce monde est peut-être un test, et qu'à comparer l'éternité à la centaine d'année que nous avons à y vivre, ce serait idiot de le rater ? Se désintéresser du bien, c'est à dire rechercher son propre intérêt, en considérant que ce serait trop bête de se gêner, les probabilités étant ce qu'elles sont ? Car a priori, mais cette question-même demanderait une ample discussion, nul ne fait le mal pour le mal, c'est à dire pour nuire à autrui contre sa propre inclination, mais bien parce que cela lui procure un avantage ou une jouissance quelconque. Mais en définitive, n'en est-il pas de même pour le bien ? Ne pratique-t-on pas le bien pour répondre à une inclination personnelle qui nous incite plutôt à sourire à un bébé qu'à lui écraser la tête d'un coup de poing (et pourtant, on lui épargnerait bien des maux …).


Dans ce cas, et on en revient à la question du doute que nous évoquions plus haut, du point de vue moral, l'homme bon et l'homme mauvais se valent au niveau de leur motivation, seul leur impact sur le monde et donc sur autrui les différencie. Ce qu'il conviendrait donc de faire, en tant qu'individu, pris dans cette continuelle bourrasque de choix, est de mesurer sans cesse lesquels de nos choix (qui s'orientent toujours vers notre intérêt personnel) ajoutent du bien au pot commun, lesquels en retirent un peu de mal, et lesquels sont neutres, et peuvent donc être faits sans scrupules. En se fixant cet objectif comme but premier, l'on pourrait ensuite travailler sur soi pour faire coïncider petit à petit son intérêt personnel (ou ce que l'on ressent comme tel), et l'intérêt commun, en se forçant par exemple à écouter certaines informations à certaines heures ou à ouvrir l'œil sur certains défauts du monde, de manière à ne plus se sentir bien tant qu'on ne s'efforce pas d'y remédier.


Mais à l'évidence, cette attitude contient le risque important de nuire à notre bonheur d'individu singulier, et satisfait d'une voie moyenne, où nous n'écrasons certes pas notre prochain à la première occasion, mais où nous ne cherchons pas non plus à éliminer la misère partout où elle se trouve. Pourquoi et d'après quels principes faudrait-il mettre en péril notre bonheur individuel pour contribuer au bonheur collectif ? Pourquoi lutter pour le bien et contre le mal ? C'est à ces quelques questions qu'il faudrait essayer de répondre, faute de se contenter d'un vain bruit de fond.

1 commentaire:

  1. Madre mia, que d'interrogations soulèvent tes élucubrations intempestives et métaphysiques ! Car c'est bien de cela qu'il s'agit, à ce que j'ai pu en comprendre...

    Comme toute "bonne" philosophe qui se respecte, je répondrais donc à cet appel à reflexion que tu lances par de nombreuses questions qu'induisent tes certitudes.

    La première, la plus fondamentale me semble-t-il, serait : le Bien doit-il être utile ???? (questions de la fin de nos actes).

    De plus :

    Qu'entends-tu par "Bien" ? Une notion éthique, de l'ordre de l'être ? Un objet, de l'ordre de l'avoir ?

    En quoi l'intérêt personnel ne peut-il coïncider avec l'intérêt collectif ?

    Si Dieu, en postulant son existence préalable à notre réflexion il va sans dire, et ce qui reste avant toute chose à prouver, si tant est qu'une croyance puisse l'être..., avait donné au monde cette dimension définitive de bonté, que resterait-il du libre-arbitre de l'homme (qui est donc libre de ne pas faire le bien) ?

    Le bien et le mal sont-elle des notions objectives, transcendantes, issues d'un point de vue de "nulle part", ou sont-elles des valeurs subjectives, tant sur le plan historique que sociétal ?

    Que faire de la "banalité du mal" dont parle Hannah Arendt à propos de Eichmann ?

    La "voie moyenne" à laquelle tu fais référence serait-elle plus proche des concepts stoïciens de "préférables" et "non préférables" ou de la voie décrite dans Le tao ?

    La liste est encore longue...
    Mais commençons dejà par cette petite mise en bouche (et non en bière) !

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