25/11/2009

Principes de bonté élémentaire.

Peut-on raisonnablement établir comme absolues, c'est à dire devant être appliquées de manière universelle, les notions, ou plutôt les valeurs de Bien et de Mal? Dégagées d'un contexte religieux et manichéen, peut-on dire que nos valeurs, ce qui définit dans le monde occidental le bien et le mal, dépassent le simple cadre des us et coutumes, des fonctionnements politiques et sociaux hérités de nos ancêtres? Ou bien ne cherche-t-on pas uniquement à imposer, à d'autres cultures par une grande croisade satisfaisant notre morale, des pratiques contextualisées, globalement résumées sous les termes de Liberté et d'Egalité? Qu'est-ce que le Bien et le Mal?

C'est avec un pessimisme certain sur notre capacité à atteindre un bien commun à tous que j'ai engagé cette réflexion. Autres temps, autres moeurs, dit-on. La roue du temps a fait se succéder nombre de soi-disant universalismes, faisant encore aujourd'hui cohabiter des sociétés à ce point différentes qu'agir pour un bien universel ici (la burka et les droits de la femme) parait être un mal absolu ailleurs (régimes sous le coup de la loi coranique. Notez d'ailleurs l'expression sous le coup, donnant bien mon point de vue sur la question). Ici, liberté de tous ; ailleurs, soumission à l'ordre ou à un Dieu. Qui est plus heureux pourtant? Qui est plus performant? Lequel est meilleur ?

Rien ne nous permet d'affirmer que c'est en Occident que les gens sont le plus heureux. Notre société libérale, capitaliste et judéo-chrétienne a d'ailleurs une fâcheuse tendance à provoquer des dépressions chez les individus, dépressions absentes de nombreuses régions du globe.

Et puis, nos valeurs censées être universelles et provenir d'une idée du Bien construite au fur et à mesure des évènements historiques et des évolutions paradigmatiques de la pensée occidentale s'accomodent bien d'actes en opposition avec eux-même. Pensons à la possibilité d'imposer la loi martiale en cas de besoin, à la faiblesse des Droits de l'Homme face aux appétits financiers des multinationales implantées dans des pays soumis à la dictature (et soutenus tacitement par nombre de pays dits libres et imposant l'égalité). Et là où le bât blesse, c'est que au nom de la liberté pour tous, on tue, on soumet, on corromp. On agit mal pour bien agir. Finalement, nécessité fait loi.

Et donc l'impasse se précise. La seule définition du bien que l'on voit ici, c'est que le Bien, c'est moi et mes semblables, le Mal, les autres (les barbares). Le Bien et le Mal sont alors des valeurs subjectives.


Si l'on accepte ce relativisme moral, alors le gouffre est sans fond et seule reste la volonté du plus fort qui peut dicter ce qui est bien ou mal. Pensons au réglement des conflits armés, aux dictatures, à l'éducation utilisée comme dressage des membres d'une société. Il n'y aurait pas non plus de possible cohésion sociale, car comment accepter la parole de l'autre si chacun est juge de ce qui est bien et mal? La raison nous interdit de le croire, tant les preuves de vie en bonne intelligence, à petite comme à grande échelle, nous incitent à voir le contraire : le fait que l'homme puisse vivre avec l'homme nous montre que quelque part au fond de notre être, une fois dégagés de nos carcans (habitudes sociales, morale, éducation) nous savons ce qui est Bien. On ne peut pas non plus l'accepter affectivement, sans quoi la folie nous guette.


Etre humain. Cette expression nous renvoie à l'empathie, à la capacité de souffrir avec. C'est là je pense le premier pas vers le Bien. Etre bon, c'est ressentir la souffrance avec autrui, et chercher à la diminuer. Etre bon, c'est participer à l'incessante fondation de la communauté humaine. En celà, la Shoah est un mal absolu, voyant l'humanité volontairement destructrice d'une partie d'elle-même. Le Bien universel est donc tourné vers la vie, et fondé sur le partage, le don de soi (et non la dissolution de soi), l'abandon d'une volonté personnelle au détriment des autres. Au niveau de notre espèce, le Bien est à l'opposé de la destruction du monde pour le profit des Hommes: l'écologie est un bien, car elle remet l'Homme au sein de la vie et de sa préservation. Le bien ne peut donc qu'être action. Ce n'est donc pas une valeur mais une suite d'actes tournés vers la préservation de la vie et la construction d'une humanité plus forte car plus consciente et plus soucieuse d'elle-même et de ses membres. On peut certainement dire que le régime démocratique et libéral qui est le notre comporte plus d'actes de bonté que celui de la dictature Nord-Coréenne. Mais il reste que des actes de bontés différents émergent selon les cultures et les habitudes sociales. Et que dire des sociétés dites “primitives” qui pourtant savent vivre en harmonie avec la nature sans chercher à en épuiser les richesses. N'ont-elles pas une leçon de bonté à nous donner? Et finalement, le terme Fraternité ne devrait-il pas être placé avant les deux autres ?


Un dernier mot : comment répandre le bien autour de soi? En agissant bien, tout simplement. Mais agir bien ne suffit pas, car ce n'est qu'un évènement ponctuel qui n'appelle à aucun lendemain. Bien agir doit aussi contenir cette donnée : donner envie de bien agir. Car rien n'est plus agaçant que des bienfaiteurs culpabilisateurs : comment aurait-on envie de devenir comme eux? On doit faire acte de bonté par envie, et non par honte de mal se comporter. C'est en cela que des figures historiques comme Gandhi ou le Dalaï Lama, qui ont cherché à unir et à rendre plus heureux, sont des figures incontournables : ils sont, en plus de la somme de leurs actes, des modèles de bonté. Et n'est-ce pas là que réside l'ultime Bien : semer chez le plus grand nombre les germes d'un futur Bien?



M

3 commentaires:

  1. Je commencerai en remerciant d'un mot mon frère de plume M pour sa contribution, première, je l'espère, d'une longue série. Si ce lieu a le moindre intérêt, c'est bien de permettre un échange et une discussion d'idées qui dépassent le stade, néanmoins essentiel, de la conversation orale pour permettre la construction progressive d'un ensemble solidaire et cohérent. Le commentaire des différents articles me paraît donc tout à fait important, et j'invite tous nos lecteurs à y participer, même d'un mot, en s'efforçant d'oublier l'auto-censure si redoutable qui nous affecte tous.

    Je voudrais à présent revenir sur quelques idées qui m'ont semblé intéressantes, comme on soufflerait de concert sur un feu naissant pour en voir mieux jaillir les flammes.

    Tout d'abord, je suis assez convaincu par la résolution du relativisme du Bien et du Mal par le recours à l'idée de "communauté humaine". La logique du groupe, du clan, formé autour d'une communauté d'intérêts et de l'exclusion d'autrui semble en effet un réflexe naturel et partout attesté (de la famille à l'Etat), mais l'apparente nécessité qui la fonde cache probablement son caractère fondamentalement néfaste au Bien collectif (entendu sans limitation).

    Il faudrait donc travailler et se battre en vue d'une sorte de communauté totale, une ouverture d'esprit inconditionnelle qui cesserait de voir un autre en l'autre. Mais cette abolition idéale de l'idée d'altérité contient plusieurs difficultés. D'une part, comme M le soulève en passant, on court le risque d'une disparition de l'individu, d'un effacement des particularités dont on peut douter qu'elle constitue un Bien commun. D'autre part, cette idée constitue une forme de super-utopie. En effet, elle ne peut fonctionner que si tous s'y appliquent en oubliant leur propre intérêt, alors que chaque individu trouverait son intérêt singulier à ne pas la voir s'appliquer ...

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  2. ... On arrive alors au problème du "réalisme", entendu comme compromis avec nos valeurs. On peut penser que cet esprit de compromis, avec la meilleure volonté du monde (qui est loin d'être toujours présente), assure pourtant avec certitude l'impossibilité du Bien. Si l'on décide de taire la souffrance d'un homme pour assurer le bonheur du reste de l'humanité, on fait advenir le Mal. Il est vrai qu'on peut aussi taire la souffrance d'un peuple entier pour assurer les profits d'une poignée de financiers, mais j'exagère sans doute.

    Pour autant, une attitude inverse et refusant tout compromis est loin d'être évidemment préférable. Refuser de bâtir le bonheur de l'humanité sur la souffrance d'un seul, n'est-ce pas préférer le malheur de tous au nom d'un absolu qui ne se raccroche finalement à rien ? On peut aussi, et cela nous fait revenir à nos réflexions précédentes, revenir à l'idée de tant d'utopies meurtrières qui ont sacrifié des millions d'hommes sur l'autel d'une idée ou d'un projet plus grand, bien souvent, d'ailleurs, dévoyé dès sa source ...

    Reste alors l'idée, évoquée par mon collègue, de l'individu modèle, figure qui inspire le Bien sans l'imposer, obtenant bien souvent le succès de sa cause par son propre sacrifice et sa propre destruction. Cet individu (Gandhi, Martin Luther King, Jean Moulin ...) deviendrait alors un flambeau vers le Bien, et ce ne serait que par la pureté de sa défaite en tant qu'individu qu'il pourrait faire advenir la victoire des idées qu'il incarne.

    Mais la victoire complète du Bien peut-elle advenir par le sacrifice de ses plus brillants défenseurs ? Faut-il d'ailleurs rechercher cette victoire complète ? Est-elle possible ? Ou bien est-ce que chaque victoire, chaque sacrifice compte infiniment pour lui-même ?

    Spadino, le motard italien qui sauva une dizaine de personnes de l'incendie du Mont-Blanc avant de s'enfermer et mourir avec une dernière victime plutôt que de se sauver en la laissant derrière lui n'est-il pas une incarnation du Bien absolu, quelque soit le caractère dérisoire de son geste, au regard de l'humanité toute entière ?

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  3. A mon sens, le Bien et le Mal ne peuvent être que des notions contextuelles lorsqu'elles quittent le domaine de l'éthique (sans parler de leurs définitions religieuses...) pour emprunter la voie morale et existentielle.

    Ce qui d'ailleurs permet utilement à l'Utopie de perdurer en tant qu'Idéal à atteindre (mais jamais vraiment réalisé), et aux "valeurs" totalitaires, voire totalisantes, de ne pas imposer ce point de vue définitif sur la morale qu'un système idéologique rationnalisé ne manquerait pas de mettre en oeuvre, l'histoire nous en ayant déjà fait une horrible et cruelle démonstration.

    Il ne me semble pas non plus que la question du Bien et du Mal se pose sous un angle sacrificiel, combatif ou même révolutionnaire. D'autant que ces notions font référence à des conduites fort différentes selon les sociétés dans lesquelles elles existent.

    Que serait un Bien qualifié d'Universel ?
    En quoi consisterait-il ?
    Comment serait-il rendu "effectif" en ce monde hétéroclite, riche et plus vaste, culturellement parlant, qu'il n'y parait ?

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